Et si le monde pouvait s'effondrer, si tout pouvait disparaître, juste comme ça, en claquant les doigts?
Il y a pensé, quand il roulait tout à l'heure, il se disait: "Pourvu que je rate le virage, pourvu que je rate le virage, que je meurs, là, tout de suite...".
Mais il savait bien que rien ne se passerait comme il le voulait, et puis si il devait en tuer d'autres et que lui survive, alors jamais il ne pourrait se pardonner ça, jamais.
Mais tout serait si drôle si on pouvait créer et détruire le monde comme ça, rien qu'en le désirant, le changer rien qu'en y pensant. Les sanglots l'étouffent, il cace tant bien que mal ses larmes aux autres qui discutent gaiement autour.
Au fond de lui, son âme gronde et détruit tout, son coeur, son âme, ses souvenirs. Cette folie déstructrice qu'il croyait disparue remonte, s'envole, part du coeur, et se répend comme un poison dans son sang.
Il sert les dents, ne pas pleurer, ne pas hurler, ils ne comprendraient pas, ils ne connaissent pas cette folie qu'il abrite et berce sur son sein depuis toujours. Elle est en lui, son amour et son unique ennemi, personne ne la connaît vraiment, elle est comme une ronce, plus forte encore quand on croit qu'on l'a détruite. Il doit s'en aller, ne pas les faire subir la vision de ce mal qui le ronge.
Elle mord son coeur et le lacère de ses griffes noires du sang qu'il a déjà versé. Il hurle intèrieurement, il courre, il doit se cacher, adieu les amis d'un instant, il doit souffrir en paix. N'importe ou, dans une impasse obscure, chez lui, dans une voiture, allongé sur un boulevard, une autoroute, mais on ne devait pas le voir, pas l'approcher.
Il devait mourir, avant qu'elle ne s'impose à nouveau, qu'il ne revoit toutes ces personnes étranges en blouses blanches qui posent des questions sans queue ni tête. Oui, juste crever, avoir son nom dans la rubrique des chiens écrasés. Encore, son chien méraitait plus que lui d'aller dans cette rubrique. Ah oui, téléphoner à la concièrge pour qu'elle nourrisse la bête, qu'il crève pas lui aussi de façon douloureuse comme ça.
Et après, trouver un lieu sombre ou dangereux où laisser exploser cette rage, cette haine qu'on ne peut pas comprendre, puis s'éteindre en silence.