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Griselle
Du début à la septième partie (qui n'était pas encore là)
Griselle était une jeune-fille un peu terne, beaucoup trop sage, une de celles que l'on ne voit pas, qui longe les murs et se tait, se débrouille pour ne pas briller, pour qu'on l'oublie. Beaucoup n'avaient jamais entendu sa voix, certains la pensaient muette, elle murmurait.
Dans le monde de Griselle, il n'y avait qu'une chambre, une chambre de jeune-fille comme on les imagine parfois, rose, et blanche. Des meubles en bois peints en blancs, des rideaux aux rubans rouges. Tout avait été fait pour une soeur qui n'avait jamais existé, une grande soeur, sûrement blonde et très douce, se disait-elle. Mais Dentelle était morte avant que Griselle ne vienne au monde, et pour ne pas trop s'attacher, on avait laissé la deuxième plante pousser toute seule, et elle poussait. Blanche et longue comme une plante dans l'obscurité. Griselle est seule, partout, en vrai, dans son monde... partout. Alors Griselle se raconte des histoires, des tas d'histoires, elle est la caverne aux merveilles de l'imagination. Elle les rendrait tous jaloux, si ils savaient... mais ils ne savent pas. Griselle attend celui qu'elle a créé pour la tirer de cette chambre et de ce lit à la couverture molletonnée, il n'a pas encore de nom, elle ne voulait pas trop restreindre le choix, mais il sera gentil, beau, intelligent, et surtout, il aimera Griselle... il aura peut-être un château aussi, mais ça, on verra. * Griselle considère qu'elle est l'incarnation des Ailes Grises de l'Ennui. Elle a même écrit une histoire là-dessus quand elle était un peu plus jeune, c'est une histoire morne, tout comme son héroïne, il ne se passe rien et tout ceux qui semblent vivant sombrent peu à peu dans un ennui mortel et inconsolable. Elle se sentait vengée. Sur les murs roses et blancs de la chambre sans bruit il y a quelques vieilles photos d'elle ou de sa soeur inconnue dans de vieux cadres ovales comme on n'en trouve plus. Et souvent Griselle les regarde et soupire, elle aimerait pouvoir encore rester enfermée ici et ne jamais sortir, ne jamais aller voir les autres qui la guettent avec leurs regards et leurs rires. Souvent sur la commode blanche et sage elle met des oeillets rouges, toujours achetés au même endroit, toujours la même vendeuse qui ne la voit pas revenir, toujours le même manque d'intérêts des deux parents coincés en bas et qui n'ont rien vu. Parfois il lui arrive de parler à la photo de Dentelle, elle est jolie Dentelle, et si elle avait grandit elle l'aurait sans doute été plus. Griselle a toujours rêvé d'amour. Enfant elle avait demandé à Maman un petit frère ou une petite soeur, mais Maman ne voulait pas, elle n'a pas écouté. Au fond Griselle voulait surtout un frère, de toute façon il n'y a jamais eu personne d'autre. * Quand dans son intérieur de jeune-fille sage tout devient trop lourd et que même le piano du salon s'est tu, Griselle regarde longuement la photo de sa soeur aînée et finit immanquablement par sortir, un carton à dessin sous le bras, un sac à dos plein de peinture et de crayons de couleurs. Elle prend toujours les crayons de couleurs dans l'espoir de les utiliser un jour, mais au fond, cela ne sert à rien. Aussi beaux soient-ils, les dessins de Griselle sont toujours gris et blancs, c'est son monde qui s'étale sur des feuilles et des feuilles, elle refait tout, sa ville, ce qu'elle voit, ce qui n'existe pas, ce qui a existé. Un matin, un samedi sans doute, car le dimanche elle passait la matinée dans la chapelle de la maison, elle sortit avec tout son matériel sous le bras, pris le bus devant la chocolaterie et descendit dans un grand parc qui l'avait toujours attiré. C'était un parc plein de ruines, de fantômes disaient certains, la nuit les habitants se plaignaient d'entendre des rires monter dans la nuit et toucher la lune comme un nuage perdu dans un ciel trop clair. Elle avait l'habitude que les gens s'arrêtent là pour regarder, elle rougissait, ne disait rien, ils s'en allaient, lassés, au bout de quelques instants, ceux qui tentaient de l'aborder ne recevaient jamais de réponse, elle s'absorbait entièrement dans son oeuvre grise et s'y enfermait jusqu'à ce que la salle soit vide. * Mais ce matin là, alors que Griselle recréait le palais de verre qui avait du se tenir au milieu de ce parc à une époque, lointaine bien-sûr, une main se posa sur son épaule. Elle se figea, ne se retourna pas, pria pour que ce soit le Prince Charmant, mais il n'en fut rien. Elle vit une tête de jeune-fille se pencher vers elle, et la regarder avec de grands yeux. "Tu vas bien, pourquoi tu ne t'es pas retournée? " Griselle ne répondit pas elle baissa la tête. La fille se pencha encore un peu plus sur son épaule, d'une main lui arracha le carton et de l'autre le crayon. En quelques coups rapides elle avait ajouté des créatures légères qui semblaient prêtes à se détacher de la feuille, puis elle griffonna un nom, déchira la feuille et s'en fut, laissant une moitié à Griselle. Griselle la regarda s'éloigner, aussi légère que ses personnages, elle lui semblait même qu'elle se fondait dans le paysage, s'effaçait. Et quand il n'y eut plus rien, elle regarda le nom: Cassandre. Elle sortit une autre feuille du carton et laissa quelques mots: "Comme une musique trop surprenante pour être agréable et comme un vent trop frais pour l'été qui m'étouffe, mais légère comme un peu de brume sur le lac en hiver. Venue et repartie comme le vent, une fée doucement a peint une note d'espoir sur mes larmes si douces. Je l'attends...". Elle relu une, deux, trois fois, et puis laissa le mot là, sans signature, sans rien qui ne puisse permettre de la retrouver. Mais au fond d'elle elle savait que ce serait Cassandre qui trouverait ce mot, que ce serait cette fée qui la retrouverait et qui serait là pour elle, juste pour elle. * Plus tard dans l'après-midi, dans la fin d'après-midi même, quand la lumière dorée et froide de l'automne se transformait en nuancier de bleu une main chaude et douce se posa sur le bout de papier. Le bout de papier solitaire se retrouva dans une poche intérieur de manteau qui sentait bon la chaleur humaine. Doucement il se laissa aller à une douce rêverie, lui aussi trouverait cette fée, cette fée où celui qui avait écrit cette douceur... * Griselle savourait le début des vacances de Noël, si elle se trouvait dans sa maison plus vide et plus froide encore qu'avant, au moins ne devait-elle pas supporter les rires sourires et petits cadeaux que s'offraient tous les lycéens autour d'elle. Avant les vacances elle s'en était sentie encore plus seule que d'habitude, à présent chacun de ses parents était parti dans leurs familles, et elle, elle restait là, seule, comme pour chaque Noël presque. On lui avait laissé un petit paquet en bas sous le sapin, et la cuisinière passait chaque matin faire le repas, la vaisselle, puis elle s'éclipsait sans même que la jeune-fille ne s'en soit rendue compte. Chaque matin Griselle retournait au parc et y restait toute la journée, les mains gelées et les joues rosies elle dessinait sans s'arrêter et ne rentrait que lorsque le gardien venait lui dire qu'il était temps de quitter le parc et de le laisser à son doux repos nocturne. Cassandre ne revenait pas... pourtant, elle avait du trouver son message. Parfois passait un garçon, grand comme un prince charmant ou un grand frère, parfois une petite vieille dame fatiguée, et d'autres fois des enfants jouaient, mais souvent, elle était seule. Et puis un matin une voix derrière elle dit: "Je suis contente de te revoir, viens, j'ai quelqu'un à te montrer." Griselle frissonnante et rougissante comme une fille amoureuse suivie sa fée sans même garder un peu de sa réserve habituelle. Au milieu du parc se tenait une verrière, elle n'y avait jamais fait attention, Cassandre la fit entrer. Il se tenait là un atelier immense, plein de toiles entamées, de chevalets vides, et au milieu une petite table basse et plusieurs poufs. Dans l'air flottait une odeur de chocolat chaud et de thé parfumé, dans un fauteuil se tenait une femme belle à en couper le souffle qui leur fit signe de s'asseoir... * Engoncée dans son fauteuil Griselle regardait ses deux compagnes boire des chocolats mousseux en silence. "Tu dois être Griselle, dit la reine de la serre, va là bas, prends ce dont tu as besoin, et dessine moi quelque chose." Puis la jeune-femme se tourna vers Cassandre et Griselle entendit des bribes. Leur hôte trouvait qu'elle n'avait pas l'air d'avoir quoi que ce soit, qu'elle était banale, qu'elle ressemblait à une vieille poupée triste... Griselle se sentit soudain proche de l'ourson Michka, mais elle ne dit rien, et sans enlever la longue cape noire qui la couvrait se mit à partager ses larmes silencieuses avec la toile. Griselle ne peignait jamais en couleur, et pourtant elle s'était aperçut qu'elle était la seule à savoir la vérité là dessus. Du bout de ses doigts glacés elle prenait les gouttelettes tristounettes et les faisait glisser sur la toile où elles se transformaient en cascades arc-en-ciel... Un moment entre les arbres il lui sembla entrevoir le jeune-homme qui passait dans le parc parfois, en le voyant elle se sentit plus vidée encore par les paroles de cette femme si belle. Sur la toile tout dégoulinait de solitude, les arc-en-ciels n'étaient plus que bleus sale et gris... * Cassandre ne répondait pas à leur hôtesse, elle se contentait de l'écouter, fronçant les sourcils ou souriant de temps à autre, elle se faisait miroir, rien de plus. Elle s'interdisait de donner son avis à ce magnifique automate sans coeur qui lui faisait face, elle préférait la voir s'animer seule, et puis de toute façon un automate ça n'a pas d'oreilles. * Seule sur son lit Griselle regardait le plancher blanc sans défauts, elle s'était enfuie de la verrière, laissant Cassandre sans doute furieuse et aiguisant par la même occasion la langue de la reine de l'atelier. Cette femme splendide n'avait cessé de lancer des piques dans ses doux murmures, Griselle avait tout laissé, la toile du désespoir et un brin d'espoir chez la reine des glaces. Et l'homme dehors avait laissé son regard coulé sur elle comme pour la réchauffer... Lorsque il fit nuit Griselle se leva pour manger puis erra dans les couloirs muets, après-demain ce serait Noël, et demain soir elle serait seul dans cet immense silence qui la serrait trop fort, comme si il voulait qu'elle le déchire en poussant un cri, un soupire qui appellerait à l'aide. Cette nuit là elle joua longtemps, très longtemps, du piano dans le salon, au fond jamais elle ne s'était sentie si seule. Sa bulle pourtant si douce devenait froide, repoussante irritante en se laissant prendre pas l'hiver. * Il faisait blanc partout, en ouvrant les rideaux il plissa même les yeux puis se dit qu'il fallait sortir. Toute cette blancheur l'attendait, c'était certain pour lui livrer des secrets en vrac cachés sous chaque caillou, dans chaque flocon. Ses pieds avançaient seuls sans même savoir où ils allaient et l'amenèrent devant une grosse maison couverte de lierre et au grand portail sombre, maison de sorcière. Une jeune-fille blonde sorti sans le regarder, un petit sac dans le dos et un air triste malgré son petit nez rouge de Noël qu'on aurait pu trouver amusant. Prose de myel, le Vendredi 23 Février 2007, 23:37 dans la rubrique "Bulan".
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