Comme une épave, il vient s'échouer entre ses bras. Ivre mort, il ne peut plus rien dire, ne pense plus, ne vit plus vraiment non plus. Et elle, elle soupire, des larmes plein la tête, elle ne sait plus quoi penser.

Elle l'alonge près d'elle, et il s'endort tout de suite, il tombe dans ce sommeil ronflant et dégoutant propre à ceux qui ont bu. Elle le regarde. Il a l'air gentil avec ses yeux fermés et ses traits qui se détendent au fur et à mesure qu'il entre au pays des rêves. Il est gentil d'ailleurs, se dit-elle. Mais il lui en a fait voir de toutes les couleurs, et surtout des tristes de couleurs, parfois le soir quand elle est seule, elle en vient à prier pour qu'il ne revienne pas. Seule, ça serait presque plus facile.

Les enfants dorment dans la petite pièce à côté. Cela fait maintenant longtemps. Comme d'habitude, elle leur a menti, a dit qu'il ne rentrerait pas trop tard, qu'il devait travailler un peu plus que d'habitude. Elle n'aime pas leur mentir, elle pense que dans la vie il faut dire la vérité, c'est important, la vérité. Néanmoins elle n'a pas envie de leur dire qu'il rentre toujours dans cet état si triste et si énervant. Elle sait bien que ça leur fendrait le coeur, qu'ils ont besoin de croire à un héros.

Quand elle l'avait rencontré, il était marin, et il écumait les fêtes sur la côte, mais pour un marin, c'est normal, il n'y avait rien à redire. Et puis après des mois de cour assidue, ils avaient fini par se marier. Il était plutôt joli garçon, et gentil aussi, il prenait toujours soin d'elle quand il était là, et lui ramenait de petits cadeaux de ses jours au loin. Et puis il y avait eu les enfants, il y avait eu d'autres problèmes, alors il avait arrêté, et il travaillait à terre, mais à terre, ça n'allait pas, il fallait qu'il revienne vers des choses qui le faisaient se sentir jeune: l'alcool, les fêtes, le jeu... tout ce qu'on ne doit plus approcher quand on a une femme et des enfants qui vous attendent.

A présent, elle le considère comme un enfant lui aussi, un enfant grand et fort contre lequel elle ne peut pas lutter. Elle l'aime, à sa façon, et pourtant, certains soirs elle souhaiterait vraiment qu'il ne rentre pas, et que le bon Dieu la laisse avec les souvenirs de leur amour paisible d'autrefois.