Gin, avec ou sans tonique? Tonique, avec ou sans gin?
Question crussiale de la soirée désoeuvrée. Seul dans un canapé de cuire, il contemple dans le noir l'appartement aux grandes vitres qui donnent sur la ville décadente. Ennuyé par cette vie qui n'est agréable qu'avec la Mastercard, il réfléchit à ce qu'il va boire.
Après tout, il faut boire pour vivre, non? Donc boire est plus important que l'argent, et oui, c'est comme ça, on oublie vite ici bas. Il lance la télécommande, puis allume la télévision. Un film, un autre, un documentaire, un porno, des clips, une émission de télé réalité.... et pourquoi le cable s'il n'y a rien qui lui plaît? Pour crâner, juste pour ça, juste pour écraser les autres de sa minable puissance, il sait tout ça, il se méprise au fond, mais il en a besoin. Il ne peut pas imaginer être comme les autres, ne pas se rendre compte de ce cercle vicieux qu'est la vie. Il a besoin de ces maigres compensations, de l'argent, pour être un peu à l'aise.
Il peut se promener avec des parfums hors de prix, des costumes inabordables, et il écrase, il enfonce les autres dans leur médiocrité, ça lui plaît. Il jouit de ce malheur qu'il a l'impression de provoquer, il n'est pas méchant, il va mal.
La différence? Il n'y en a pas, pas vraiment, puisque le résultat est le même.
Enfant de rentiers, et rentier lui même, délaissé autrefois, il essaie le mépris pour remplacer l'amour.
Et ça ne marche pas, ça aussi il le savait avant de commencer ce jeu, mais c'était trop tard, l'amour il ne savait pas comment le donner, comment l'avoir. Alors ce soir, il est seul, pensant à son gin et au tonique, pour Noël il sera à une grande réception, et il se dira: je vais mieux, mais pourtant, ça ne sera qu'un court moment.
Et il sera là pour son argent, des jeunes femmes aux décolletés plongeants le suivront en tentant d'être belles et drôles. Des putains, oui. Il aura une indigestion à cause du caviar et du saumon, il sera mal à cause du champagne, putain de champagne!
Il ne pense pas aux autre, il le sait, et il s'en fout, parce qu'il a mal. Parce qu'il a besoin d'écraser, d'enfoncer, pour ne pas s'enliser dans une dépression.
Il y en a qui crèvent de froid, et lui il crève de pas grand chose.
La lune est belle ce soir, comme une pièce d'argent, mais les lampadaires la ternissent. Sous la lumière des réverbères, on voit la pluie qui mouille la rue, il fait froid dehors.